La peur est un cri, la terreur est un murmure...
Le soleil se trouvait à son acmé dans ce ciel d'été, adoptant un bleu azur hypnotisant que la femme qui connaissait mille douleurs en cet instant ne pouvait s'empêcher de contempler, pour oublier les souffrances qui la torturaient. Pas un cri ne grondait dans sa gorge. Elle demeurait muette comme une tombe, son visage pâle virant au rouge. Un rouge aussi sombre que le sang qui s'écoulait de ses blessures. Un homme se tenait non loin, le regard empli d'une inquiétude sans fin, qui semblait ronger chaque particule de son être. Cependant, un hurlement parvint à se glisser au-dehors de la bouche close de la femme. Un hurlement strident qui déchira les cieux. Quelques oiseaux effrayés quittèrent les lieux dans des bruits d'ailes hâtif. La femme semblait libérer d'un poids. Ses traits s'étaient faits plus doux, plus serin. Au creux de ses bras, un minuscule bambin ensanglanté, criant aussi fort qu'il le pouvait, prouvant au monde qu'une créature exceptionnelle venait de naître. Une fille, plus précisément. Le père de cet enfant se précipita vers ses seuls amours, les enlaçant de ses bras forts et protecteurs. Au fil des secondes, les cris du nouveau né s’atténuèrent, tandis que la mère, dont des larmes de joie emplissaient ses yeux, murmurait à son nouveau trésor : « - Tu te nommeras Heather. Heather. » Ainsi, l'histoire d'une fille à l'histoire peu commune débutait. Le commencement de cette longue vie qu'elle mènerait, sous le regard aimant de ses deux parents. Elle ne se doutait pas de ce que lui réservait le destin. Elle ne se doutait de rien, innocente qu'elle était alors. Elle aurait pu le rester, mais ce ne fut pas le cas...
Le feuillage des arbres caressait avec douceur la peau pâle de la petite fille à la longue chevelure brune. Quant au soleil, il la réconfortait de son étreinte chaude comme la braise. Le rire qui résonnait dans les environs provenait de cette si petite créature, dont les yeux d'un bleu clair transperçaient chaque élément qui l'entourait. Elle tournoyait sur elle-même, ne prenant pas en considération les troncs, les roches, les herbes trop hautes qui tentaient pas tous les moyens de lui barrer le chemin. Peu importaient les bleus qui recouvraient sa peau blafarde, elle riait tout de même d'un rire cristallin. Impossible de résister à la donzelle. Un véritable petit ange. Le bonheur se lisait sur son visage. L'innocence également. Une voix brisa le silence pesant du mugissement des arbres. Un nom. La petite fille accéléra l'allure, se cognant plus d'une fois à de nombreux obstacles qu'elle ignorait tout de même. Guidé par la voix, il lui fut bien aisé de rejoindre sa mère, tenant entre ses bras un plat fumant et ragoutant. Un véritable délice à première vue. Encore une fois, l'enfant tomba à plat ventre sur le ciel poussiéreux. Son père accourut, soulevant d'un bras sa fille avec douceur et tendresse. Un regard reconnaissant vagabonda dans ses prunelles avant de s'éteindre subitement, remplacé par une profonde tristesse. Son géniteur le remarqua immédiatement, et saisit la petite entre ses bras, la berçant rythmiquement tout en fredonnant une chanson sans queue ni tête. Au fil des paroles, son sourire s'élargissait. Et, finalement, un long rire coupa net la parole de l'homme, qui éclata de rire à son tour, ravi d'être parvenu à un tel résultat. Il la posa à terre, et la guida au son de sa voix. Suivant ses ordres à la lettre, elle avançait sur le chemin qu'il lui traçait. Après tout, ce n'était pas comme si elle avait le choix. La vue ne lui avait jamais été accordée. Il s'agissait là d'un don qu'elle ne méritait pas de toute évidence. Mais, elle vivait avec, habituée à cette obscurité sans fin, qui l'accompagnait dans chacune de ses journées. Malgré ce handicap, elle était heureuse. Peu importait qu'elle n'ait pas le privilège que d'apercevoir le monde. De son côté, elle l'imaginait tel qu'elle le voulait. Son imagination n'avait pas de limite. Son monde à elle n'était que vêtu de rose, ou aucun malheur ne venait troubler l'horizon. Il se trouvait si loin de la réalité... Mais, ses parents n'en disaient rien. Lui avouer qu'elle vivait dans le déni ne serait pas la meilleure des solutions pour préserver la joie et la bonne humeur dans leur famille. Chose rare. Ils étaient seuls, perdus au milieu d'une vaste forêt qui s'étendait sur des hectares et des hectares. Personne n'en avait encore vu la fin. Non, les parents de la petite fille se contentaient de demeurer dans leur territoire, ne se confrontant ainsi pas au moindre danger. La zone dans laquelle ils se trouvaient était sûre, sans nul doute. Et elle le fut durant l'enfance entière d'Heather. Cette dernière grandissait à vue d’œil, toujours aussi aveugle, mais toujours aussi vivante et joyeuse. Impossible de ne pas l'apprécier. Elle riait à longueur de journée, sans jamais s'arrêter. Quant à ses parents, ils ne pouvaient s'empêcher de l'imiter. Leur vie était parfaite, pourquoi s'encombrer d'une atmosphère froide et livide ? De ce fait, ils vivaient dans une harmonie absolue, ne se préoccupant jamais de ce qui rôdait aux alentours. Ils étaient seuls au monde. Seul, et ce, pour l'éternité. À leur plus grand plaisir. Seul inconvénient de cette vie magique, la petite ne pourrait jamais recouvrer la vue en demeurant recluse dans une forêt. Son seul moyen : retrouver la civilisation. Mais, il ne s'agissait pas là de sa préoccupation première. Ce qui lui importait, c'était de vivre à l'aide de toute cette rage qui l'animait. Elle ne manquait jamais une occasion pour s'amuser, pour se défouler, et pour risquer l'impossible. Mais, elle ne sortait pourtant pas de la forêt. Non, elle en avait bien trop peur. Ses parents lui avaient tant et tant de fois décrit ce qui se tramait à l'extérieur d'un avis négatif, qu'elle avait fini par l'adopter à son tour. Elle haïssait tout ce qui ne se trouvait pas dans leur nid douillet. Dans leur territoire. À ses yeux, jamais elle n'aurait besoin de quitter ce lieu. Ni demain, ni jamais. Mais, c'était sans compter sur ce magnifique homme au physique divin qui tapa à leur porte un soir de pleine lune. Ce fut la toute première fois que la petite Heather se trouvait confronté aux autres. Humains de l'extérieur. Elle ne pouvait discerner ses traits, seulement entendre le son mélodieux de sa voix. Mais, sous sa gentillesse sans failles, elle pressentait le mal qui tentait de surgir au moment propice. Il disait se prénommer Klaus. Nom intrigant, que Heather n'appréciait que peu. Il demeura dans leur forêt trois nuits exactement. Ses parents se méfiaient de lui, sans pour autant le lui montrer. Hôtes respectueux et serviables, ils n'attendaient pourtant qu'une seule et unique chose: qu'il s'en aille à jamais. Quant à Heather, elle était à présent âgée de 18 printemps. Et du haut de ses plusieurs années, elle savait que cet homme n'apporterait rien de bon. De ce fait, elle tenta de l'éviter autant qu'elle le pouvait. Une nuit à la belle étoile, une seconde, une troisième, et ainsi, c'est à peine s'il l'avait encore vu. Ses parents la comprenaient, ce pour quoi ils ne disaient rien quant à l'impolitesse de leur fille. Klaus ne semblait pas remarquer la peur qui guidait les cœurs de cette petite famille recluse dans une forêt. Ou, du moins, le faisait-il croire...
Heather goûtait à la douce lumière de la lune, baignant son visage et sa chevelure. Allongée dans l'herbe fraiche, elle se sentait dans son élément. Chacun de ses doutes s'était dissipé de son esprit, la béatitude prenant le contrôle de ses émotions. Aucune pensée négative ne venait donc la troubler. Aucune, excepté un nœud poignant à son estomac, qui lui présageait un malheur futur. Mais, elle ne souhaitait pas lui accorder trop d'importance. Tout ce qu'elle voulait, c'était demeurer ainsi pour l'éternité. Lorsqu'elle se réveillerait le lendemain, ce Klaus serait enfin parti comme il l'avait précisé. Et la jeune fille serait enfin libre de ce sentiment obscur qui l’obsédait. Les minutes s'écoulaient. Seul le souffle léger du vent brisait le silence. C'est à peine si elle osait respirer. Ce, avant qu'elle ne bondisse sur ses pieds, et qu'elle ne décampe de ce paysage harmonieux, trébuchant plus d'une fois sur chacun des obstacles présents dans cette forêt. Elle le savait : le malheur s'était abattu sur leur famille. C'était plus qu'un simple doute à présent, mais une certitude. Elle se devait de protéger ses parents comme ils l'avaient fait avec elle durant tant de temps. Bondissant, courant, les blessures que lui causait l'environnement étaient nombreuses. Bientôt, son visage devint ensanglanté. Mais, elle persistait à augmenter l'allure, connaissant le chemin vers sa maison sur le bout des doigts. Pourtant, pour la toute première fois de sa vie, elle avait peur. Une frayeur qui lui broyait les entrailles, s'entremêlant à la douleur. Sa maison paraissait si loin, inexistante. Le monde qu'elle s'imaginait venait subitement de changer de tons. Il délaissa le rose, pour se focaliser sur une couleur plus sombre, plus maléfique, parsemé de tons rouges. Un véritable paysage chaotique venait de naître dans son esprit, dû à un simple sentiment de mal aise. Ce fut la seule fois où elle regretta amèrement de ne pas être dotée du don qu'est la vue. La seule et l'unique fois. Lorsqu'elle arriva enfin près de sa maison, une charmante odeur de braise flottait dans l'atmosphère. Et ses flammes qui léchaient le lieu dans lequel elle avait toujours vécu... elles paraissaient la consumait elle, et non sa maison. Et ses parents ? Hurlant leur nom à s'en déchirer les cordes vocales, elle s'avançait dangereusement vers le feu qui dansait avec enthousiasme si près d'elle. Elle était prête à pénétrer elle-même dans ce brasier, si cela lui permettait de sauver ses parents. Elle était prête. Prête à les rejoindre dans cet enfer. Mais, elle n'en eut jamais l'occasion. Une main saisit son poignet, la tirant en arrière. Elle poussa un glapissement terrifié, avant de se débattre telle une diablesse. La rage déformait chacun de ses traits, et le chagrin se manifestait par des larmes roulant avec délicatesse le long de ses joues. Frêle qu'elle était, elle ne put pas se défendre bien longtemps de l'étreinte de Klaus. Oui, elle savait qui il était. Elle reconnaîtrait cette poigne de fer entre mille, et le mal qui encombrait son aura. Hurlant au désespoir, elle ne souhaitait qu'une seule chose : rejoindre ses parents dans l'au-delà. Ou bien revenir en arrière pour chasser cet homme maléfique à la seconde où il quémanda leur hospitalité. Malheureusement, ces solutions se trouvaient être plus qu'irréelles. Son ennemi se contentait de la garder prisonnière au sein de ses bras, chuchotant des mots doux au creux de son oreille. Finalement, un ultime et dernier mot se glissa dans son esprit : « Bienvenue dans le vrai vie, mon ange. » Et, sur ces mots, il lui offrit son bras, l'intimant à planter ses crocs dans sa chair. Elle ne se le fit pas dire deux fois, ravie de pouvoir lui faire du mal comme elle en rêvait depuis plusieurs minutes. Mais, lorsqu'elle mordit brutalement dans son bras, il ne poussa pas une seule plainte. Au contraire, un rire s'échappa de sa bouche pour résonner aux alentours, tandis que Heather était contrainte de boire de son sang. Le nectar rouge dégoulinant au coin de ses lèvres, elle était perdue. Étais ce courant chez les autres de répandre ainsi le malheur, et de leur accorder par la suite de leur sang ? Abasourdie, elle ne pouvait se défendre. Telle une poupée de porcelaine, il la guidait à sa guise. Son rire perdurait, s'éteignant pourtant brusquement lorsqu'il enveloppa de ses mains le cou de la pauvre jeune fille. Et d'une simple pression, il envoya valser sa tête...
Lorsqu'elle s'éveilla, une soif accrue enflammait son être. L'obscurité était toujours maîtresse de sa vie, et pourtant, des tons sanglants venaient s'y ajouter. Des hurlements stridents. Un rire glacial. Le néant. Elle se redressa subitement, au souvenir de la veille. Une sueur froide perlait sur son front. Elle ne savait pas où elle se trouvait. Elle ne savait plus rien. Son monde tout entier s'était effondré. Mais, elle savait pourtant qu'elle ne se trouvait plus dans leur forêt. L’atmosphère qui l'entourait était plus lourd, plus chargé. Prise par une crise de panique, elle respirait faiblement, luttant pour ne pas s'étouffer. L'effroi séjournait dans chacune de ses pensées. L'obscurité ne lui était jamais parue aussi sombre. Contournant avec délicatesse ce qu'elle considérait comme un lit, elle se replia sur elle-même dans l'un des angles de la pièce, abattu. Tremblotantes, des larmes roulaient successivement sur ses joues. Elle demeura ainsi ce qui lui paraît une éternité, avant qu'une porte ne claque, et que des pas ne résonnent sur le sol. Quelqu'un ou quelque chose s'abattit sur le sol, gisant aux pieds de son pire cauchemar. Une douce odeur flotta dans l'air, caressant les narines de la jeune fille, la narguant. Sa soif ne fut que plus accrue. Et, sans attendre, ses doutes s'étant dissipés, elle bondit vers le cadavre, s'abreuvant à son cou, ignorant totalement son créateur, l'observant d'un œil amusé et critique à la fois. Ainsi, Heather devint une créature de la nuit...
Depuis le jour j, elle voyait le monde tel qu'il était. Elle n'était plus bercée dans l’ignorance de la vie. Toute innocence l'avait quitté. La vue lui avait été offerte, accompagnée de son immortalité, mais comme elle aurait aimé demeurer dans les ténèbres toute sa vie. Le monde qui l'entourait se trouvait être plus effrayant encore que celui qu'elle s'imaginait. Dans un certain sens, elle nageait à présent réellement dans les ténèbres. Klaus l'avait quitté à la seconde où le nectar du cadavre était entré en contact avec ses lèvres. Elle avait dû se débrouiller seule face à ses nouvelles pulsions. Face à sa véritable nature. Face à ses émotions décuplées, insupportable à maîtriser. Ce chagrin si présent, ne s’effaçant seulement lorsque le monstre qui sommeillait en elle refaisait surface pour apporter le malheur aux personnes croisant sa route. La plupart finissaient égorgés, ou d'autres, se transformaient à leur tour, fruit du simple ennui de la charismatique Heather. Elle n'était plus elle-même. Le chagrin lui faisait perdre la tête, et pour l'oublier, elle se montrait aussi cruelle et froide qu'était censé l'être des vampires. Elle vidait de leur sang de pauvres créatures jour après jour, tout en batifolant avec plus d'un homme, qu'elle tuait de sang-froid une fois la partie de plaisir achevée. Et ce durant les 767 années qui suivirent. Elle était devenue son pire cauchemar. Mais, pourtant, jamais elle n'éteint la flamme. Jamais elle ne quitta ses émotions. Non, elle les conserva toujours. Le chagrin qui la hantait était le seul moyen de se souvenir de ses parents. De ces deux êtres chers perdus. La peine se trouvait être la seule façon de ne jamais quitter de vue la fille joyeuse et pleine de vie qu'elle avait été un jour....
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Le feuillage des arbres caressait avec douceur la peau pâle de la petite fille à la longue chevelure brune. Quant au soleil, il la réconfortait de son étreinte chaude comme la braise. Le rire qui résonnait dans les environs provenait de cette si petite créature, dont les yeux d'un bleu clair transperçaient chaque élément qui l'entourait. Elle tournoyait sur elle-même, ne prenant pas en considération les troncs, les roches, les herbes trop hautes qui tentaient pas tous les moyens de lui barrer le chemin. Peu importaient les bleus qui recouvraient sa peau blafarde, elle riait tout de même d'un rire cristallin. Impossible de résister à la donzelle. Un véritable petit ange. Le bonheur se lisait sur son visage. L'innocence également. Une voix brisa le silence pesant du mugissement des arbres. Un nom. La petite fille accéléra l'allure, se cognant plus d'une fois à de nombreux obstacles qu'elle ignorait tout de même. Guidé par la voix, il lui fut bien aisé de rejoindre sa mère, tenant entre ses bras un plat fumant et ragoutant. Un véritable délice à première vue. Encore une fois, l'enfant tomba à plat ventre sur le ciel poussiéreux. Son père accourut, soulevant d'un bras sa fille avec douceur et tendresse. Un regard reconnaissant vagabonda dans ses prunelles avant de s'éteindre subitement, remplacé par une profonde tristesse. Son géniteur le remarqua immédiatement, et saisit la petite entre ses bras, la berçant rythmiquement tout en fredonnant une chanson sans queue ni tête. Au fil des paroles, son sourire s'élargissait. Et, finalement, un long rire coupa net la parole de l'homme, qui éclata de rire à son tour, ravi d'être parvenu à un tel résultat. Il la posa à terre, et la guida au son de sa voix. Suivant ses ordres à la lettre, elle avançait sur le chemin qu'il lui traçait. Après tout, ce n'était pas comme si elle avait le choix. La vue ne lui avait jamais été accordée. Il s'agissait là d'un don qu'elle ne méritait pas de toute évidence. Mais, elle vivait avec, habituée à cette obscurité sans fin, qui l'accompagnait dans chacune de ses journées. Malgré ce handicap, elle était heureuse. Peu importait qu'elle n'ait pas le privilège que d'apercevoir le monde. De son côté, elle l'imaginait tel qu'elle le voulait. Son imagination n'avait pas de limite. Son monde à elle n'était que vêtu de rose, ou aucun malheur ne venait troubler l'horizon. Il se trouvait si loin de la réalité... Mais, ses parents n'en disaient rien. Lui avouer qu'elle vivait dans le déni ne serait pas la meilleure des solutions pour préserver la joie et la bonne humeur dans leur famille. Chose rare. Ils étaient seuls, perdus au milieu d'une vaste forêt qui s'étendait sur des hectares et des hectares. Personne n'en avait encore vu la fin. Non, les parents de la petite fille se contentaient de demeurer dans leur territoire, ne se confrontant ainsi pas au moindre danger. La zone dans laquelle ils se trouvaient était sûre, sans nul doute. Et elle le fut durant l'enfance entière d'Heather. Cette dernière grandissait à vue d’œil, toujours aussi aveugle, mais toujours aussi vivante et joyeuse. Impossible de ne pas l'apprécier. Elle riait à longueur de journée, sans jamais s'arrêter. Quant à ses parents, ils ne pouvaient s'empêcher de l'imiter. Leur vie était parfaite, pourquoi s'encombrer d'une atmosphère froide et livide ? De ce fait, ils vivaient dans une harmonie absolue, ne se préoccupant jamais de ce qui rôdait aux alentours. Ils étaient seuls au monde. Seul, et ce, pour l'éternité. À leur plus grand plaisir. Seul inconvénient de cette vie magique, la petite ne pourrait jamais recouvrer la vue en demeurant recluse dans une forêt. Son seul moyen : retrouver la civilisation. Mais, il ne s'agissait pas là de sa préoccupation première. Ce qui lui importait, c'était de vivre à l'aide de toute cette rage qui l'animait. Elle ne manquait jamais une occasion pour s'amuser, pour se défouler, et pour risquer l'impossible. Mais, elle ne sortait pourtant pas de la forêt. Non, elle en avait bien trop peur. Ses parents lui avaient tant et tant de fois décrit ce qui se tramait à l'extérieur d'un avis négatif, qu'elle avait fini par l'adopter à son tour. Elle haïssait tout ce qui ne se trouvait pas dans leur nid douillet. Dans leur territoire. À ses yeux, jamais elle n'aurait besoin de quitter ce lieu. Ni demain, ni jamais. Mais, c'était sans compter sur ce magnifique homme au physique divin qui tapa à leur porte un soir de pleine lune. Ce fut la toute première fois que la petite Heather se trouvait confronté aux autres. Humains de l'extérieur. Elle ne pouvait discerner ses traits, seulement entendre le son mélodieux de sa voix. Mais, sous sa gentillesse sans failles, elle pressentait le mal qui tentait de surgir au moment propice. Il disait se prénommer Klaus. Nom intrigant, que Heather n'appréciait que peu. Il demeura dans leur forêt trois nuits exactement. Ses parents se méfiaient de lui, sans pour autant le lui montrer. Hôtes respectueux et serviables, ils n'attendaient pourtant qu'une seule et unique chose: qu'il s'en aille à jamais. Quant à Heather, elle était à présent âgée de 18 printemps. Et du haut de ses plusieurs années, elle savait que cet homme n'apporterait rien de bon. De ce fait, elle tenta de l'éviter autant qu'elle le pouvait. Une nuit à la belle étoile, une seconde, une troisième, et ainsi, c'est à peine s'il l'avait encore vu. Ses parents la comprenaient, ce pour quoi ils ne disaient rien quant à l'impolitesse de leur fille. Klaus ne semblait pas remarquer la peur qui guidait les cœurs de cette petite famille recluse dans une forêt. Ou, du moins, le faisait-il croire...
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Heather goûtait à la douce lumière de la lune, baignant son visage et sa chevelure. Allongée dans l'herbe fraiche, elle se sentait dans son élément. Chacun de ses doutes s'était dissipé de son esprit, la béatitude prenant le contrôle de ses émotions. Aucune pensée négative ne venait donc la troubler. Aucune, excepté un nœud poignant à son estomac, qui lui présageait un malheur futur. Mais, elle ne souhaitait pas lui accorder trop d'importance. Tout ce qu'elle voulait, c'était demeurer ainsi pour l'éternité. Lorsqu'elle se réveillerait le lendemain, ce Klaus serait enfin parti comme il l'avait précisé. Et la jeune fille serait enfin libre de ce sentiment obscur qui l’obsédait. Les minutes s'écoulaient. Seul le souffle léger du vent brisait le silence. C'est à peine si elle osait respirer. Ce, avant qu'elle ne bondisse sur ses pieds, et qu'elle ne décampe de ce paysage harmonieux, trébuchant plus d'une fois sur chacun des obstacles présents dans cette forêt. Elle le savait : le malheur s'était abattu sur leur famille. C'était plus qu'un simple doute à présent, mais une certitude. Elle se devait de protéger ses parents comme ils l'avaient fait avec elle durant tant de temps. Bondissant, courant, les blessures que lui causait l'environnement étaient nombreuses. Bientôt, son visage devint ensanglanté. Mais, elle persistait à augmenter l'allure, connaissant le chemin vers sa maison sur le bout des doigts. Pourtant, pour la toute première fois de sa vie, elle avait peur. Une frayeur qui lui broyait les entrailles, s'entremêlant à la douleur. Sa maison paraissait si loin, inexistante. Le monde qu'elle s'imaginait venait subitement de changer de tons. Il délaissa le rose, pour se focaliser sur une couleur plus sombre, plus maléfique, parsemé de tons rouges. Un véritable paysage chaotique venait de naître dans son esprit, dû à un simple sentiment de mal aise. Ce fut la seule fois où elle regretta amèrement de ne pas être dotée du don qu'est la vue. La seule et l'unique fois. Lorsqu'elle arriva enfin près de sa maison, une charmante odeur de braise flottait dans l'atmosphère. Et ses flammes qui léchaient le lieu dans lequel elle avait toujours vécu... elles paraissaient la consumait elle, et non sa maison. Et ses parents ? Hurlant leur nom à s'en déchirer les cordes vocales, elle s'avançait dangereusement vers le feu qui dansait avec enthousiasme si près d'elle. Elle était prête à pénétrer elle-même dans ce brasier, si cela lui permettait de sauver ses parents. Elle était prête. Prête à les rejoindre dans cet enfer. Mais, elle n'en eut jamais l'occasion. Une main saisit son poignet, la tirant en arrière. Elle poussa un glapissement terrifié, avant de se débattre telle une diablesse. La rage déformait chacun de ses traits, et le chagrin se manifestait par des larmes roulant avec délicatesse le long de ses joues. Frêle qu'elle était, elle ne put pas se défendre bien longtemps de l'étreinte de Klaus. Oui, elle savait qui il était. Elle reconnaîtrait cette poigne de fer entre mille, et le mal qui encombrait son aura. Hurlant au désespoir, elle ne souhaitait qu'une seule chose : rejoindre ses parents dans l'au-delà. Ou bien revenir en arrière pour chasser cet homme maléfique à la seconde où il quémanda leur hospitalité. Malheureusement, ces solutions se trouvaient être plus qu'irréelles. Son ennemi se contentait de la garder prisonnière au sein de ses bras, chuchotant des mots doux au creux de son oreille. Finalement, un ultime et dernier mot se glissa dans son esprit : « Bienvenue dans le vrai vie, mon ange. » Et, sur ces mots, il lui offrit son bras, l'intimant à planter ses crocs dans sa chair. Elle ne se le fit pas dire deux fois, ravie de pouvoir lui faire du mal comme elle en rêvait depuis plusieurs minutes. Mais, lorsqu'elle mordit brutalement dans son bras, il ne poussa pas une seule plainte. Au contraire, un rire s'échappa de sa bouche pour résonner aux alentours, tandis que Heather était contrainte de boire de son sang. Le nectar rouge dégoulinant au coin de ses lèvres, elle était perdue. Étais ce courant chez les autres de répandre ainsi le malheur, et de leur accorder par la suite de leur sang ? Abasourdie, elle ne pouvait se défendre. Telle une poupée de porcelaine, il la guidait à sa guise. Son rire perdurait, s'éteignant pourtant brusquement lorsqu'il enveloppa de ses mains le cou de la pauvre jeune fille. Et d'une simple pression, il envoya valser sa tête...
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Lorsqu'elle s'éveilla, une soif accrue enflammait son être. L'obscurité était toujours maîtresse de sa vie, et pourtant, des tons sanglants venaient s'y ajouter. Des hurlements stridents. Un rire glacial. Le néant. Elle se redressa subitement, au souvenir de la veille. Une sueur froide perlait sur son front. Elle ne savait pas où elle se trouvait. Elle ne savait plus rien. Son monde tout entier s'était effondré. Mais, elle savait pourtant qu'elle ne se trouvait plus dans leur forêt. L’atmosphère qui l'entourait était plus lourd, plus chargé. Prise par une crise de panique, elle respirait faiblement, luttant pour ne pas s'étouffer. L'effroi séjournait dans chacune de ses pensées. L'obscurité ne lui était jamais parue aussi sombre. Contournant avec délicatesse ce qu'elle considérait comme un lit, elle se replia sur elle-même dans l'un des angles de la pièce, abattu. Tremblotantes, des larmes roulaient successivement sur ses joues. Elle demeura ainsi ce qui lui paraît une éternité, avant qu'une porte ne claque, et que des pas ne résonnent sur le sol. Quelqu'un ou quelque chose s'abattit sur le sol, gisant aux pieds de son pire cauchemar. Une douce odeur flotta dans l'air, caressant les narines de la jeune fille, la narguant. Sa soif ne fut que plus accrue. Et, sans attendre, ses doutes s'étant dissipés, elle bondit vers le cadavre, s'abreuvant à son cou, ignorant totalement son créateur, l'observant d'un œil amusé et critique à la fois. Ainsi, Heather devint une créature de la nuit...
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Depuis le jour j, elle voyait le monde tel qu'il était. Elle n'était plus bercée dans l’ignorance de la vie. Toute innocence l'avait quitté. La vue lui avait été offerte, accompagnée de son immortalité, mais comme elle aurait aimé demeurer dans les ténèbres toute sa vie. Le monde qui l'entourait se trouvait être plus effrayant encore que celui qu'elle s'imaginait. Dans un certain sens, elle nageait à présent réellement dans les ténèbres. Klaus l'avait quitté à la seconde où le nectar du cadavre était entré en contact avec ses lèvres. Elle avait dû se débrouiller seule face à ses nouvelles pulsions. Face à sa véritable nature. Face à ses émotions décuplées, insupportable à maîtriser. Ce chagrin si présent, ne s’effaçant seulement lorsque le monstre qui sommeillait en elle refaisait surface pour apporter le malheur aux personnes croisant sa route. La plupart finissaient égorgés, ou d'autres, se transformaient à leur tour, fruit du simple ennui de la charismatique Heather. Elle n'était plus elle-même. Le chagrin lui faisait perdre la tête, et pour l'oublier, elle se montrait aussi cruelle et froide qu'était censé l'être des vampires. Elle vidait de leur sang de pauvres créatures jour après jour, tout en batifolant avec plus d'un homme, qu'elle tuait de sang-froid une fois la partie de plaisir achevée. Et ce durant les 767 années qui suivirent. Elle était devenue son pire cauchemar. Mais, pourtant, jamais elle n'éteint la flamme. Jamais elle ne quitta ses émotions. Non, elle les conserva toujours. Le chagrin qui la hantait était le seul moyen de se souvenir de ses parents. De ces deux êtres chers perdus. La peine se trouvait être la seule façon de ne jamais quitter de vue la fille joyeuse et pleine de vie qu'elle avait été un jour....