Elle a les yeux pleins d’étoiles et un sourire séraphique qui dissimulent ses mauvaises intentions.
Sous mes yeux, une ligne droite éternelle symbolisant la vie. S'étendant aux quatre coins du monde, elle ne s'arrête jamais, perpétuelle route ne possédant pas la moindre fin. Une vive lumière inaccessible se profile à l'horizon. Depuis mon premier souffle, je tente de l'atteindre, de m'accrocher à cette immortalité suspendue sous les flots de ce vaste horizon s'éloignant jour après jour. Mais, personne n'en a le pouvoir. Personne ne possède cette infime faculté t'accordant le droit de saisir entre tes mains la faucheuse elle-même. L'horizon, c'est la fin, la mort. Et, lorsque nous la franchissons alors, impossible de se rendre compte de cet exploit effectué. La fossoyeuse est déjà passée, silencieuse telle une ombre dansant entre les cadavres dépouillés de leur vie. Et moi, je l'observe minutieusement au volant de cette voiture me conduisant droit entre ses crocs acérés. Je la toise d'un regard empli d'une fascination sans fin, j'attends mon heure en un sourire. Je n'ai pas peur de la mort. Tout au contraire, je l'admire de mon regard azur, espérant trouver du côté des défunts un monde meilleur où souffrance et désolation ne seront plus qu'un souvenir oublié, se perdant dans la mémoire des euthanasiés. Mon existence est déjà si belle, peuplé de tant de richesse. Mais, je vise un avenir plus beau, plus large. Un avenir où les limites ne seraient qu'une relique accomplie. Face à cette douce idée s'imposant à mon esprit déluré, mon regard se perd sur les banquettes arrière de la voiture. Vide. Personne si ce n'est moi-même ne se trouve au sein du véhicule. Cas étrange. Depuis toujours, mes innombrables voyages furent accompagnés de diverses âmes brûlant d'une même ardeur que la mienne. Et à présent, me voilà seule, à mon plus grand malheur. Je haïs plus que le monde lui-même la solitude. J'ai besoin de contact, besoin de rire, de me battre, de dévoiler aux yeux de tous cette fureur sans nom m'animant. Pourtant, je me dois de supporter cette injuste compagne le temps de quelques heures. Les vociférations agaçantes de la musique diffusée à la radio en cette heure se perdent entre mes oreilles. Face à mon affligeant isolement, je laisse mes souvenirs virevolter vers mon esprit, se retirant les uns après les autres de l'essence de mon être...
Mystic Falls. Ma longue chevelure blonde souligne mon passage enflammé à travers ce bienheureux jardin où paix et bonheur semblent s'imposer. Je fulmine de toute la rage dont je suis doté. Je les déteste, je les déteste, c'est ce que je ne cesse de beugler afin que cette maudite famille en comprenne les lourds sens. Je souhaite les faire souffrir, leur démontrer que ma vie ne se résume pas qu'à leur simple plaisir. Je suis libre. Tel un oiseau, je déploie mes ailes sur ce monde. Je suis prête à me délecter de toutes les façons possibles et inimaginables de ce mot. Liberté. C'est ce que j'aboie en un rire fou, ignorant les appels de détresse que m'envoient par dizaines mon père, ma mère... et ma sœur. Cette dernière, c'est bien la seule que je regretterais dans cette vie de bohème m'ouvrant les bras. Mais, je n'ai pas le choix. Je suis tel que je suis et ainsi va le monde. Ils ne peuvent pas me retenir éternellement prisonnière de cette demeure familiale dans laquelle je tournais en rond depuis ma naissance, tel un lion en cage réclamant son impunité. J'en ai besoin. Je ne peux vivre sans cela. Bondissant à travers rues, je perçois les hurlements de mon père qui tente de me rattraper. Et ceux de ma mère, se faisant plus persistants, plus soutenus. Ils ont peur de me perdre. Mais, qu'ils se rassurent, après deux ou trois heures, ils m'auront oublié. Leur existence se révélera aussi platonique qu'ils la souhaitaient. Et ainsi, la joie et la bonne humeur se propageront à travers les cœurs de chacun des êtres vivants foulant cette terre mère jour après jour. Je me sens si bien, emporté dans cet élan rebelle me poussant à saisir les clés de ma voiture et à laisser le moteur rugir. C'est le son de mon affranchissement qui résonne au-delà même de l'univers. Aucune valise entre mes mains, quelques billets. Je pars démuni de tout, mais peu m'importe de rouler sur la paille. Tant que je roule, tout simplement, je suis heureuse. J'ai tout pour moi. Je sais pertinemment que je ne finirais pas près d'un mur, à mendier mon lendemain. Je suis forte, je suis puissante, le monde est à mes pieds. En un mot, celui-ci se prosterne face à Ma Grandeur. Je suis Angel Saoirse Black, Nom de dieu. Personne ne peut me retenir, personne ne peut me contrôler. La destinée n'est qu'illusion, son étau ne parviendra jamais à s'emparer de ma frêle silhouette. Cette audace qui m'est propre ne s'achèvera jamais. « Va, va ! Je suis certain que tu reviendras sous le toit bienveillant et sûr de notre demeure. Tu ne survivras pas plus de deux minutes sans notre bonne main pour te soutenir, Angel ! » beugla mon père, dans l'espoir que je ne me ravise pas et rejette cette folie passagère s'emparant de mon être. Je ricanais de ses croyances chicotes et sans profondeurs, tandis qu'en quelques virages, je hurlais à son adresse en éclat de rire attirant les regards de tous les habitants de la ville : « Crois moi mon cher père. Tu as plus de chances de voir des anges te sortir du trou de balle que de me voir un jour revenir ! » Et ainsi, commença ma virée à la conquête des afflictions de ce monde...
Sous les feux des projecteurs, les grésillements incessants des appareils photo sur ma peau me comblent d'une ataraxie sans nom. Sur un petit nuage, personne ne parviendrait à me rejoindre. Je suis sur le trône, sujet de tous les désirs. Ils pensent tous à moi. Ils m'attendent tous. Je suis tel le centre du monde, et je raffole de cette sensation accroissant au fil des jours. Mannequin mondial, ils s'arrachent tous ma silhouette. Abordant de multiples pauses convenant toutes aux yeux des photographes, je suis dans mon élément. Ma vie est parfaite. Mes 18 ans ont sonné, je suis plus indépendante que quiconque. Jamais je n'éprouvais le besoin de retourner dans le foyer de mes parents. Jamais je ne leur envoyais une seule lettre. Tout contact avec les Black se trouvait être impossible du fait que je ne ressentais pas l'envie ni le désir de les contacter. Ils appartenaient à mon passé, à cette prison qui m'enferma d’innombrables années au sein même d'une dictature des plus stricts. À présent, je vole de mes propres ailes. Rien ne m'est interdit, les limites ne sont plus que des songes inavoués. Quittant la scène en une légère galipette, je laisse derrière mon passage une multitude de regards ne parvenant pas à quitter mes allures de diva. Sac à main, et clés, je bondis dans ma voiture en un sourire, saluant lorsque le cœur m'en dit les personnes rencontrées sur mon chemin. Ils me connaissent tous. Et pas uniquement pour mon poste de mannequin. Mais, également pour ma présence constante aux soirées les plus réputées et à ma réputation de fille facile. Que j'accepte avec élégance et dignité. Leur jugement ne m'importe que peu. Oui, je suis une fille facile se glissant avec aisance entre les différents lits s'offrant à moi. Fille, garçon, en avant pour une tournée ! Mais, c'est ça la vie. La facilité. Si l'on ne se laisse pas influencer par la simplicité, c'est inévitable, nous nous perdons dans une spirale sans fin d'interrogations et de soupçons. Tel est l'éclat de la vérité vibrant dans chaque facette de ce monde perpétuel. Un crépuscule légendaire s'abattit sur les rives de la ville, au loin, si loin. Le contemplant en un regard dissipé, je laissais mes pieds me porter vers la boîte de nuit la plus proche. Et, plongeant dans les abysses de mon univers, je laissais la musique engourdir peu à peu mon être, la démence s'installer dans chaque parcelle de mon être. Comme possédé, livré à des forces surnaturelles inconnues, plus rien ne semblait prêt à arrêter cette folie meurtrière m'animant. Avant que ce garçon ne pose les yeux sur moi. Apercevant ses cheveux blonds, ses yeux d'un vert angélique et ses muscles saillants sous sa chemise, j'avançais de quelques pas, tentant le diable sans l'once d'une hésitation. Une fille se rapprocha de lui, tentant d'éclipser le lourd regard que ma cible me portait. En un sourire carnassier, j'imposais ma présence à cette petite inconsciente et la repoussant d'une subtilité parfaite, ce fut moi et moi seule qui se retrouvais entre ses bras, à danser au rythme de la musique résonnant dans l'abîme de la déchéance. Et bientôt, son lit m'ouvrirait ses bras jusqu'à ce que je m'éclipse telle une ombre, changeant de pays, mais continuant cette vie parfaite que je menais. Que je me trouve en Amérique ou en France, ma vie serait toujours parfaite. Sous le joug de la liberté, tout me paraissait accessible à présent. Enfouissant mes lèvres au creux des siennes, je débutais une énième fois une nuit de passion aux allures inaltérables...
Au volant de ma superbe voiture, en compagnie de deux ou trois ex se battant à l'arrière et mon prochain ex à l'avant, mon téléphone sonna. Une fois. Deux fois. Trois fois. Je ne pouvais l'ignorer plus longtemps. Mes quatre victimes attendaient que ma main se referme sur l'engin. Ce que je fis de ma propre initiative, répondant en un rire, alors que ma prise du jour m'embrassait au creux de mon cou. « Allo ? » Long silence à l'autre extrémité de l'appareil. Pour seul son, la respiration saccadée d'une personne peinant à respirer. Un murmure se perdant dans les ricanements de mes invités. Et c'est alors que sa voix résonna à travers le combiné. Me figeant momentanément, je laissais la surprise s'inviter à notre petite escapade : « Angel. Reviens. J'ai besoin de toi. » Ce n'était pas possible. Un long silence pesant se fit dans la voiture, tandis que tous les regards se trouvaient rivés vers ce minuscule portable attisant tant d'attention en sept mots prononcés. « Reviens, Angel. Je t'en supplie. » sanglota ma petite sœur. Oui, c'était bien elle. De sa petite voix enfantine, elle réclama ma présence. Je ne l'avais pas entendu depuis tant d'années... un temps infini semblable à des siècles et des siècles par milliers. Entre deux sanglots, la jeune fille attendait ma réaction d'une appréhension perçant jusqu'à mon cœur. Tout ce que je parvins à murmurer me sembla si pâle et si fade pour des retrouvailles : « Pourquoi ? » Mon ange pleurnicha de plus belle, tentant d’aligner quelques mots afin de répondre à cette question fatale. « J'ai... besoin de t... de toi, Angel. Reviens. » Elle m'implorait en quelques souffles. D'un côté, la voix suppliante de cette seule et unique personne que j'aimais au cours de ma vie. De l'autre, les tentations perfides d'une liberté absolue. Je ne pouvais tourner le dos ni à l'un ni à l'autre. Pourtant, cette toute dernière phrase qui quitta ses lèvres m'empêcha de poursuivre ma lâche initiative de raccrocher et de quitter définitivement mon passé. « J'ai une leucémie. Je vais bientôt mourir, grande sœur. »
Ainsi, voilà ma vie, mon existence et la raison qui me poussa à rejoindre la vile solitude tentant de faire de moi son pantin. En vain. Je suis de retour à Mystic Fall. J'aperçois les arbres si familiers de la forêt, les rues non méconnues surgissant de mes souvenirs troublés et enfin cette maison, cette prison. Dans laquelle l'horizon semble s'installer. La mort plane sur le cœur de ma petite sœur. Et je me dois d'être présente à ses côtés. La souffrance que je connaîtrais ne sera rien aux côtés de la culpabilité qui m'aurait rongé si je n'avais pas décidé de l'abandonner à son sort. Ville maudite, je suis à toi...